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Licenciements : les fonctionnaires sont-ils mieux lotis que dans le privé ?

Publié le lundi 24 janvier 2022 , www.lagazettedescommunes.com

Les fonctionnaires, des privilégiés ? Pour les militants du " fonctionnaire bashing ", cela ne fait pas de doute. L'une de leur obsession repose sur la dénonciation de " l'emploi à vie ", nourrit par l'impunité dont jouiraient les fonctionnaires au regard des sanctions disciplinaires et des règles de licenciement. Mais qu'en est-il réellement ? A conditions égales et comparables, les agents publics et salariés du privé connaissent-ils des situations si différentes ?

visuel Licenciements : les fonctionnaires sont-ils mieux lotis que dans le privé ?

Parmi les privilèges dont bénéficieraient les fonctionnaires, l’absence de risque de perte d’emploi, ou plus directement, de licenciement, revient régulièrement sur la table (1). Le cliché voudrait que les fonctionnaires soient « invirables », quoi qu’ils fassent. Protégés par leur statut, ils pourraient en toute impunité adopter des comportements qui déclencheraient immédiatement et sans façon le renvoi d’un salarié du privé responsable des mêmes faits.
Réfléchir ainsi, c’est d’abord omettre que le cadre de la relation de travail entre un salarié d’une entreprise du secteur privé et un agent public est fondamentalement différent : le premier est lié à une entreprise dont la raison d’être est de produire un résultat économique, tandis que l’agent public, qui n’est pas titulaire de son emploi mais uniquement de son grade, accomplit une mission de service public assortie de certains principes (neutralité, continuité…). Mais admettons d’examiner le postulat du « fonctionnaire bashing ».

D’abord, tout fonctionnaire peut être licencié, selon plusieurs motifs, qui varient selon les fonctions publiques (2). Dans la fonction publique territoriale, un agent peut être licencié pour :

  • refus de poste(s) après un congé de maladie
  • absence d’emploi vacant à la fin d’un détachement sur un emploi fonctionnel
  • refus de postes à la fin d’une disponibilité
  • refus d’offre d’emploi par un fonctionnaire pris en charge par le CNFPT ou un centre de gestion
  • insuffisance professionnelle
  • refus d’une modification de la durée de travail d’un emploi à temps non complet
  • non réintégration sur un emploi à temps non complet après une disponibilité
  • inaptitude physique définitive d’un fonctionnaire à temps non complet.

Mais combien de fonctionnaires sont licenciés chaque année ? Difficile à dire, tant les études sur le sujet sont rares. Mais des données partielles existent cependant, à travers les bilans des sanctions disciplinaires, puisque, parmi les quatre groupes de sanction, le niveau le plus grave entraîne la révocation, c’est-à-dire le licenciement de l’agent. Une notion très proche du licenciement pour faute (grave ou lourde) dans le secteur privé.

Dans la fonction publique territoriale, les dernières données disponibles remontent à 2017, analysées dans la synthèse des bilans sociaux 2017 (3). Cette année-là, 6 600 sanctions disciplinaires ont été prononcées à l’encontre des fonctionnaires titulaires, dont 3% relevaient du 4è groupe, la sanction principale étant la révocation. C’est donc près de 200 territoriaux qui ont été révoqués. Sans oublier que le même nombre environ ont subi des exclusions temporaires de fonctions pour une durée de 4 à 15 jours, et 5 % des exclusions de 16 jours à deux ans (4).

Les thuriféraires du fonctionnaire bashing s’exclameront sans doute que 200 personnes licenciées en une année, sur une population totale de territoriaux de plus d’1,5 millions d’agents (soit 0,013 %), c’est bien la preuve de l’impunité des fonctionnaires.

Mais selon quelle échelle d’appréciation ? Le nombre de licenciements dans le secteur privé ? Tentons la comparaison : avant tout, il faut exclure du décompte tous les licenciements pour motifs économiques, qui n’ont pas cours dans le secteur public local (5), et se concentrer sur les licenciements pour motifs personnels, pour faute lourde ou grave.

Sur ce périmètre comparable, que disent les chiffres ? Selon les données de la Dares publiées en juillet 2020, portant sur les mouvements de main d’œuvre en 2019, les licenciements pour motif autre qu’économique représentaient 3,1% des ruptures de CDI.

Si le taux de licenciés pour motif autre qu’économique est bien plus fort dans le privé, il s’agit d’un chiffre brut, non corrigé des procédures en contestation devant les conseils de prud’hommes, ces dernières pouvant totalement invalider le licenciement.

En outre, les conséquences du licenciement n’ont pas la même portée dans le secteur public et le secteur privé. Ainsi, la révocation entraîne la perte à vie de la qualité de fonctionnaire, tandis qu’un salarié du privé licencié pour faute pourra repostuler dans d’autres entreprises, et même dans la fonction publique (6).

Les conséquences de la révocation conduisent donc les partenaires sociaux, dans la fonction publique territoriale, à une certaine prudence, augmentée du fait que ces décisions se déroulent dans le contexte disciplinaire, qui implique des procédures très encadrées.
Ce qui peut faire dire à un DGS à la retraite : « Pour avoir subi des  fonctionnaires qui ne faisaient rien, volaient un peu mais pas trop… je trouve que les procédures pénales et de sanctions administratives sont désespérantes et ne rendent pas service aux fonctionnaires qui font leur boulot. Pouvoir se séparer de ceux qui abusent du système redonnerait une bonne image à celles et ceux – qui sont une majorité – qui bossent. »

Dans un autre registre, les dirigeants territoriaux, dont le SNDGCT (lire ci-dessous) demandent régulièrement un assouplissement de la procédure de licenciement pour insuffisance professionnelle en particulier, qui ne se déroule pas dans le cadre disciplinaire.

L’insécurité de l’emploi augmente dans le public

L’édition 2020 du rapport annuel sur l’état de la fonction publique (p 287), publié par la DGAFP, s’était penchée sur la crainte de perdre son emploi, dans le public, et dans le secteur privé. L’observation n’a pas été reconduite dans l’édition 2021 suivante. Le rapport 2020 établissait que « l’insécurité de l’emploi est en hausse dans la fonction publique, en particulier dans la FPT. La crainte pour son emploi dans l’année qui vient est plus élevée dans le secteur privé (26,2 %) que dans la fonction publique (18,1 %) mais concerne tout de même 20,1 % des agents de la FPT en 2016. Par rapport à 2013, cette crainte a augmenté de presque 6 points dans la FPT ». Et le rapport poursuivait : « Les femmes et les agents non titulaires sont plus nombreux à craindre pour leur emploi dans l’année qui vient ».

L’insécurité ressentie par les agents varie aussi fortement en fonction des catégories dans un mouvement inversement proportionnel à sa place dans la hiérarchie : 23,4 % pour les C, 15,6 % pour les B, et 12 % pour les A. Par métier, « les agents des métiers liés aux Sports et loisirs, animation, culture et Entretien, maintenance/Espaces verts, paysages sont les plus nombreux à craindre pour leur emploi (respectivement 30,4 % et 26 %) ».

« Notre syndicat propose de faciliter le licenciement pour insuffisance professionnelle »

3 questions à Stéphane Pintre, président du SNDGCT

Que répondez-vous à ceux qui parlent des fonctionnaires comme « ayant un emploi à vie », sujet qui va être largement évoqué avant les présidentielles ?

Le Statut est la contrepartie du modèle français de disposer de services publics qui agissent dans la continuité et la neutralité ! S’il est souvent présenté comme un frein, il est en réalité un outil moderne de continuité des services publics et une protection contre la corruption, le népotisme et un garant de l’équité des citoyens devant le service public.

La fonction publique territoriale, par sa proximité avec les élus et les citoyens, par son devoir d’assurer la continuité et la neutralité des services publics doit garantir contre l’arbitraire et le clientélisme. Aussi doit-elle être accessible par des modes de sélection incontestables et assurer l’indépendance des agents. C’est la contrepartie de la garantie de l’emploi.

Quelle est la position du Syndicat des DG en termes de licenciements, par rapport aux salariés du privé ?

Le « licenciement » pour motif économique a son pendant dans le statut de la fonction publique, c’est la « suppression de poste », même s’il faut reconnaître que la procédure est moins souple et qu’elle est coûteuse pour les collectivités qui y recourent. Elle n’est cependant pas que théorique.

Au titre de la simplification de la gestion RH, notre syndicat propose de faciliter le licenciement pour insuffisance professionnelle en définissant, à l’aide de la jurisprudence, les critères de l’insuffisance professionnelle, en renforçant notamment la responsabilité de l’employeur public en supprimant l’avis préalable de la CAP, tout en conservant le rôle d’instance de recours de cette dernière.

Que pensez- vous du fait que procédure disciplinaire et procédure pénale soient indépendantes dans la FPT ?

Pour rappel, « le criminel tient le civil en l’état ». Cet adage était auparavant codifié à l’ancien article 4 du Code de procédure pénale et prévoyait que dès lors que les juridictions civile et pénale étaient saisies et que les deux actions portaient sur les mêmes faits, le juge civil devait surseoir à statuer. Il faut comprendre que le juge civil était donc obligé d’attendre que le juge pénal se prononce sur l’action publique avant de se prononcer lui-même. Le pénal jouissait donc d’une priorité sur le civil. En plus d’être prioritaire sur le civil, la réponse pénale exerçait aussi une influence sur la décision civile : comment condamner une personne à indemniser sa victime au civil si elle n’était pas condamnée au pénal ?

Depuis la loi du 10 juillet 2000 (7), l’adage ne s’applique plus concernant les fautes non intentionnelles. En conséquence, une indemnisation sur le fondement de l’article 1240 du Code Civil ou sur celui de l’article 452-1 du Code de la Sécurité Sociale reste possible alors même que le juge pénal a prononcé une relaxe.

Il en est de même dans la fonction publique. L’employeur public peut soit décider de suspendre l’agent de ses fonctions jusqu’à 4 mois (il s’agit d’une mesure de protection et non d’une sanction) dans l’attente de la position du juge pénal ; soit engager une procédure disciplinaire s’il dispose de faits avérés, susceptibles d’entraîner une sanction, indépendamment de la sanction pénale.

Les sanctions disciplinaires dans la fonction publique territoriale

Groupe Sanction dans la FPT
1er groupe
  • Avertissement
  • Blâme
  • Exclusion temporaire de fonctions de 1 à 3 jours
2ème groupe
  • Radiation du tableau d’avancement
  • Abaissement d’échelon à l’échelon immédiatement inférieur à celui détenu par le fonctionnaire
  • Exclusion temporaire de fonctions de 4 à 15 jours
3ème groupe
  • Rétrogradation au grade immédiatement inférieur, à un échelon comportant un indice égal ou immédiatement inférieur à celui détenu par le fonctionnaire
  • Exclusion temporaire de fonctions de 16 jours à 2 ans
4ème groupe
  • Mise à la retraite d’office
  • Révocation

Note 01comme si la fragilisation des salariés vis-à-vis de leur emploi était la marque d’une organisation performanteRetour au texte

Note 02même si le mouvement tend à rapprocher le fonctionnement dans les trois fonctions publiquesRetour au texte

Note 03publiée en décembre 2020 par le CNFPTRetour au texte

Note 04Dans la fonction publique d’Etat, le volume total de sanctions est plus faible que dans la territoriale (3033 sanctions en 2019, 2740 en 2020, pour 2,2 millions d’agents), mais le pourcentage de licenciements parmi les sanctions (révocation et retraite d’office) plus élevé : 6,4 % en 2019 et 5,8 % en 2020Retour au texte

Note 05sauf, tempère Stéphane Pintre, le président du SNDGCT : « le ‘licenciement’ pour motif économique a son pendant dans le statut de la fonction publique, c’est la ‘suppression de poste’, explique-t-ilRetour au texte

Note 06dès lors qu’il n’aura pas perdu ses droits civiques dans le cadre d’une procédure au pénalRetour au texte

Note 07ayant introduit l’article 4-1 du Code de procédure pénaleRetour au texte