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La fonction publique face à la crise des vocations

Publié le mercredi 8 juin 2022 , www.lagazettedescommunes.com

Salaires, attractivité, dégel du point d'indice et son financement... À l'orée d'un nouveau quinquennat, quelles sont les attentes, les besoins et les urgences des acteurs territoriaux ? François Deluga, président du CNFPT, Johan Theuret, cofondateur de Sens du service public, Hélène Guillet, présidente déléguée du SNDGCT et Jésus De Carlos, secrétaire général de l'Ufict CGT, ont répondu aux questions de la Gazette des communes à l'occasion d'une table ronde.

visuel La fonction publique face à la crise des vocations

Dans quel état se trouve la FP alors que débute ce nouveau quinquennat ? (1)

debat-DELUGAFrançois Deluga : Je suis assez optimiste, et en même temps très inquiet. On a vu lors de ce quinquennat des tentatives de remise en cause du statut et, d’une certaine façon, de mise en cause du service public à la française. Mais il s’achève avec une fonction publique qui progresse globalement. On a montré que le statut était adaptable durant la crise.

Pourtant, la situation de l’hôpital est catastrophique, les rémunérations ne sont pas à la hauteur de ce que cela devrait être. Et le président de la République ne nous a pas expliqué dans le détail son programme. On ne sait pas pour quoi la prochaine majorité va se battre. Il ne faudrait pas revenir aux errances du début de quinquennat. Nous devons, une fois pour toutes, mettre fin au new public management et au fonctionnaire bashing. En réalité, tout le reste découle de cela.

Johan Theuret : Je partage ces constats. Les métiers en tension le sont en raison d’une défaillance salariale, mais aussi du fonctionnaire bashing. Cela doit nous inciter à réfléchir. Comment attirer les jeunes générations ?

debat-GUILLETHélène Guillet : Je vais utiliser une métaphore : on est en pleine forêt de Brocéliande, entre mythe et réalité. Le secteur public doit être réenchanté. Les acteurs publics ont combattu et subissent aujourd’hui une forme d’épuisement. Mais nous ne sommes pas encore sortis de la crise. Deux voies se présentent : la première, c’est la disparition potentielle de la fonction publique au sens où on l’entend aujourd’hui – dans l’hospitalière, on ne sait pas comment on va passer l’été ; la seconde, c’est le rebond. Je suis assez optimiste. Nous avons une co-responsabilité autour du sens à donner à l’action publique, faire comprendre le service public au sens large.

debat-DE CARLOSJésus de Carlos : Il y a perte de confiance envers l’État. Les politiques récessives ont été plus dures sous Emmanuel Macron. La loi de Transformation de la Fonction publique de 2019 n’a pas maintenu le socle des droits sociaux des agents, elle a fragilisé la conception du déroulement des carrières. Il y aura des effets négatifs dont on voit déjà les prémices. Avec, notamment, la marchandisation des services publics, on prend le chemin d’une destruction organisée du statut. C’est une vraie inquiétude dans le cadre des négociations locales.

Le premier chantier devrait être celui du dégel du point d’indice. Quel serait le niveau minimum acceptable ?

Jésus de Carlos : Nous sommes plusieurs organisations syndicales à réclamer une augmentation immédiate de 10 % de la valeur du point d’indice. Ce n’est que le rattrapage. Cette mesure est finançable. Comment ? Via l’augmentation la dotation globale de fonctionnement de l’État aux collectivités territoriales. Il faut une conférence salariale, mais aussi budgétaire pour trouver, avec les collectivités, les leviers qui financent ces mesures.

François Deluga : Une part de la perte d’attractivité de la fonction publique est due à la stigmatisation des agents publics, et c’est aussi un problème de rémunération. Je suis plus favorable à une augmentation du point d’indice qu’à des mesures catégorielles comme cela été fait dernièrement, et qui pourraient aboutir in fine à une dissociation entre fonctions publiques, et à l’intérieur de chaque fonction publique.

Je dois indiquer que si ma commune n’avait pas perdu 450 000 euros de DGF, nous aurions pu financer une augmentation linéaire et régulière du point d’indice. Mais on ne peut pas demander aux collectivités de financer seules une revalorisation de 6 ou 10 %, même si je ne crois pas, aujourd’hui, à une augmentation de la dotation globale de fonctionnement (DGF). Nous sommes dans l’incapacité de le faire. Nous avons mutualisé, optimisé… Il ne nous reste plus beaucoup de marges de manœuvre pour dégager des ressources.
Alors oui, je suis favorable au relèvement du point d’indice, mais dans l’état actuel des choses, avec les annonces de diminution de nos recettes, et sans la création de nouvelles ressources, il est évident que les collectivités ne peuvent pas le financer.

debat-THEURETJohan Theuret : Il faut être réaliste, l’État ne viendra rien compenser. Il faut surtout garantir l’autonomie financière des collectivités, et leur donner de la visibilité. A commencer par ne pas supprimer la CVAE.
En tout état de cause, l’augmentation du point d’indice ne peut pas être inférieure à la dernière réévaluation du SMIC, puisqu’on a plusieurs centaines de milliers de fonctionnaires qui sont au SMIC aujourd’hui.

Ce qui rend la chose insoutenable, c’est la manière dont c’est fait. On gèle le point pendant dix ans, puis on « lâche les chevaux ». Mais on ne peut pas demander aux collectivités de compenser le défaut de réévaluation de la valeur du point par le régime indemnitaire. C’est très dangereux. Les collectivités riches pourraient se le permettre, mais les autres, plus fragiles, ne le pourraient pas. Cela déboucherait sur une concurrence malsaine.

Hélène Guillet : Je ne vais pas me prononcer sur le taux, mais rappeler quelques chiffres. Relever d’un point, cela correspond à 2 % de l’épargne brute pour les collectivités territoriales. En Loire-Atlantique, 1 point équivaut à 60 000 euros en moyenne par collectivité. Soit deux postes de catégorie C, un et demi de catégorie B, entre 20 et 30 m² de construction… C’est donc une affaire de choix politique, sachant que la ressource humaine, c’est ce qui permet l’action publique locale.

Ce qui se joue-là, c’est l’action et le service publics. Aujourd’hui, parce que les grilles sont tassées, on a honte d’expliquer aux agents qu’il faut attendre 9 ans pour une augmentation du point d’indice. Les B en fin de carrières sont au-dessus des A en début de carrière, ce qui pose la question des concours et de l’engagement. Il y a pénurie de DG, car il n’y a plus d’intérêt daller sur ces postes. Les grilles sont faites de telle sorte que des agents de catégorie B gagnent davantage que des emplois fonctionnels. Cela n’a plus aucun sens. De plus, quand on compare les avantages globaux du privé par rapport à la fonction publique, il y a des distorsions énormes, qui jouent en défaveur de notre attractivité. La problématique va donc bien au-delà du taux d’évolution du point.

L’enjeu, demain, c’est de pouvoir attirer les jeunes générations en redonnant le goût des carrières publiques, comment faire ?

Hélène Guillet : Il y a quatre éléments à prendre en compte en matière d’attractivité : la question du sens et du projet arrive toujours en numéro un, la qualité des relations est le deuxième facteur de motivation pour quelqu’un qu’on recrute. La question de la rémunération arrive en troisième position. Le dernier facteur, c’est la question des conditions de travail au sens large. C’est en activant l’ensemble de ces points que l’on peut réenchanter et gagner en attractivité, surtout auprès des jeunes générations.
Mais c’est très difficile aujourd’hui, notamment pour les plus petites structures, parce que tout est devenu très complexe. On ne peut plus jouer sur les carrières longues par exemple : les jeunes générations n’en veulent pas.
C’est un ensemble d’interventions qui peuvent faciliter et favoriser la venue dans la fonction publique. Il faut vraiment miser sur la dimension pédagogique autour des métiers. Fonctionnaire, c’est un statut, pas un métier. On ne fait pas venir les gens pour être fonctionnaires, on les fait venir parce qu’on a besoin d’un infirmier, d’un assistant social… Donc la question consiste à dire comment on peut travailler à l’échelle d’un bassin d’emplois, avec tous les acteurs, les universités, mais aussi, plus en amont, à l’échelle des collèges pour redonner du sens et du contenu à ce que sont les missions dans la fonction publique.

François Deluga : Le CNFPT organise encore quelques concours pour les A + et je dois dire que l’on est assez effarés par la baisse de niveau des gens qui se présentent. Notre difficulté à recruter augmente aussi parce que le nombre de reçus aux concours ne couvre pas les postes ouverts. Nous connaissons une série de métiers en tension car ils ne sont pas assez valorisés et que les rémunérations sont trop faibles.

Il faut ajouter que le taux d’absentéisme aux formations dispensées par le CNFPT, qui s’adressent à des agents déjà dans les effectifs, est passé en quelques années de 15 à 25 %. Beaucoup s’inscrivent et ne viennent pas. Cela a un impact logistique et financier non négligeable. De manière globale, la valeur travail est extrêmement dévalorisée aujourd’hui. L’autre chantier, c’est plancher sur le manque de connaissance qu’ont les jeunes des mécanismes qui permettent d’accéder à la fonction publique.

Jésus de Carlos : Je voudrais apporter quelques contradictions à ce que vient de dire François Deluga. Les collectivités territoriales doivent aussi assumer certaines décisions politiques, notamment le fait de ne pas organiser de concours tous les ans, qui détourne les jeunes qui sortent de leurs études des carrières publiques.

Par ailleurs, quand on réalise que le financement du CNFPT est à 0,9 % (2), mais que les collectivités dépensent 2 à 3 % dans des formations extérieures, c’est-à-dire dans le privé, cela interroge. Le CNFPT est notre bijou et il faut le préserver. N’oublions pas la généralisation du new public management, qui a fait beaucoup de mal a nos organisations de travail.

La crise de sens des agents est liée au fait de réduire les moyens mais d’en faire toujours plus. Il y a des filières vraiment en souffrance, comme les assistants artistiques ou les Atsem. A cela s’ajoute une vraie concurrence sur les métiers d’ingénieurs par exemple, entre le privé et le public.
Ce n’est pas le statut qui pose une difficulté, mais je pense qu’il y a une volonté politique pour supprimer la fonction publique en tant que telle, et faire passer au privé un certains nombres de services.

François Deluga : Je suis également favorable à ce que nous revenions à l’organisation des concours tous les ans. Car lorsque les étudiants sortent de la fac et que cela tombe une année où il n’y a pas de concours organisés, ils n’attendent pas une année supplémentaire.

Johan Theuret : Concernant l’attractivité, en 2019, l’Association des DRH des grandes collectivités territoriales (ADRHGCT) avait fait une étude qui révélait que 57 % des métiers en tension dans le secteur public l’étaient aussi dans le privé. Il faut donc relativiser, même si des freins sont propres à la territoriale.

Sur la question du sens, dans notre malheur, on a pu en redonner à la puissance du service public. Une grande campagne de communication nationale de valorisation de nos métiers, sur le modèle de ce que fait l’armée, serait intéressante. C’est tout de même paradoxal que les jeunes arrivent à se projeter dans des métiers dangereux mais que nous, les employeurs territoriaux, n’arrivions pas à recruter !

Tout cela relève à la fois de la volonté politique et des moyens financiers qu’on peut y consacrer. Il est important aussi d’arrêter de parler de la fonction publique dans sa globalité, car cela donne l’impression d’un grand maelstrom et les jeunes génération s’y perdent. Parlons de métiers avant tout.

Au delà de la problématique du calendrier des concours, nous avons des épreuves qui sont encore trop académiques. Il faut revoir le format des épreuves et leur durée. Par ailleurs, quand les jeunes diplômés postulent dans le privé, ils sont recrutés en moins d’une semaine et on leur paye le billet de train pour venir à l’entretien. Partant de là, la fonction publique et ses concours, c’est has been !

Et puis, il faudrait un travail sur les conditions de travail au sens large, et j’entends par là aussi la dimension salariale. J’insiste parce que, et encore plus en contexte d’inflation, il ne faut pas se leurrer, c’est un élément qui va énormément peser sur les métiers en tension.

Pensez-vous alors qu’il faille mettre en place davantage de mesures catégorielles, comme cela a été le cas sous le dernier gouvernement ?

Johan Theuret : Non, pas nécessairement car cela crée des disparités entre les agents, un problème de lisibilité des rémunérations et un sentiment d’injustice. Et puis, dans les conditions de travail, il y a deux axes sur lesquels les collectivités ont délaissé le sujet : c’est tout d’abord la question de la prévention qui a été longtemps un sujet tabou dans les collectivités locales. Pourtant, la prévention permet de lutter contre l’absentéisme, et d’améliorer les conditions de travail des agents.

Et puis après, il y a la question de la PSC où, encore une fois, nous avons du retard. C’est à dire que ce qui est un avantage salarial dans le privé, ne l’est pas dans la fonction publique. Et ça, c’est  aussi un défaut de considération.

Jésus De Carlos : Le gouvernement actuel risque de continuer la dévalorisation des qualifications pour proposer des grilles indiciaires dans lesquelles des bac + 5 peuvent exercer des missions de catégorie B. La formation initiale est dès lors fortement dévalorisée.

Par ailleurs, nous avons un problème inhérent au fonctionnement des service de ressources humaines, souvent trop peu qualifiés. Il existe encore trop peu de cadres experts sur des questions de construction de parcours professionnels qui permettent de passer de la formation initiale à la formation continue avec des changements d’emploi et donc de culture professionnelle. Passer de la filière technique à la filière administrative dans une carrière, ça paraît aujourd’hui tout à fait logique, ce qui n’était pas le cas il y a 20 ans.

La jeunesse a bien compris que aujourd’hui, on avait des parcours professionnels beaucoup plus hachés. Et si on veut rester dans la fonction publique, il faut pouvoir construire des passerelles entre ces différentes professions, dans le cadre d’emploi et donc changer de référentiel professionnel plus facilement qu’avant. Pour y parvenir, il faut sortir des contrats de Cahors qui empêchent les collectivités de construire par elles-mêmes les politiques publiques locales !

Les collectivités vont avoir besoin notamment d’effectifs sur les métiers de la transition écologique, du changement climatique ou encore du numérique. Comment parvenir à concurrencer le secteur privé sur ces métiers ?

Hélène Guillet : Quitte à être dans la provocation, j’ai envie de dire qu’il n’y a pas de concurrence possible et plus on sera en compétition et en concurrence et plus on ira dans le mur. Nous ne saurons pas nous aligner sur le secteur privé marchand.

D’autre part, le secteur public a une valeur ajoutée sur certains champs que n’ont pas les intervenants du secteur privé. L’ensemble des employeurs ont une responsabilité sur ces questions. Il faut sortir de ces logiques de confrontation et de compétition sur des urgences de transition. Il y a un vrai tour de table à faire sur la place de chacun et sur la manière dont on peut coopérer dans chaque territoire.

Johann Theuret : Nous devons a minima pouvoir travailler sur les métiers en tension entre employeurs publics sur un bassin d’emploi. Il est très important de valoriser ces métiers, imaginer aussi des passerelles entre collectivités qui offriraient des parcours professionnels enrichis.
Pour parler de ma collectivité, Rennes Métropole, il y a une forte concurrence sur la cybersécurité. Pourtant, tous les postes en informatique sont pourvus, parce que nous avons fait une campagne de valorisation des métiers. Il y a aussi des agents qui étaient partis dans le secteur privé et que l’on a vu revenir parce que nous offrons du sens !

Quelle est votre position quant à la réforme des retraites annoncée par Emmanuel Macron, qui prévoit de reculer l’âge de départ à 65 ans ?

Jésus de Carlos : Ce qui est annoncé n’est pas une bonne réforme. Pour nous, avant même la question du financement de ce projet, il y a d’abord la question de l’égalité salariale, car il y a un différentiel de 30 % entre les hommes et les femmes en général, en France. Dans la fonction publique, c’est 19 % et dans la fonction publique territoriale, c’est 13 %. Il faudrait donc commencer par effectuer ce rattrapage, si cette réforme était justifiée, ce qui n’est pas le cas. Selon le dernier rapport du COR, nous n’avons pas de difficultés de financement des retraites jusqu’en 2050. Il faudrait en tout cas taxer les dividendes, et augmenter les cotisations patronales.

De plus, il ne faut pas oublier que seulement 38 % des personnes de plus de 60 ans sont encore en activité. C’est un vrai problème. Et dans les collectivités, on a des contingents d’agents sans emploi car ils ne sont plus employables, pour reprendre le vocabulaire des employeurs publics. Vouloir passer à la retraite à 65 ans, c’est en réalité un projet de récession. Mais ça promet une bataille sociale importante à la rentrée.

François Deluga : Je suis totalement hostile à la retraite à 65 ans. Je vous rappelle d’ailleurs qu’une grande partie des femmes vont jusqu’à 67 ans pour avoir une retraite à taux plein. Je suis pour que, au minimum, on reste à 62 ans, et je fais partie de ceux qui soutiennent 60.

En outre, pour la territoriale – et ce n’est pas une problématique à laquelle l’Etat est confronté – 75 % de nos agents sont de catégorie C. A partir d’un certain âge, ils sont souvent absents, à cause de TMS, par exemple. Ce qui coûte cher, parce qu’il faut remplacer. Cela n’a donc pas de sens d’allonger leurs carrières. D’autant que cela pose la question des transitions professionnelles, de l’anticipation, sur ces métiers pénibles, pour ne pas être dans le curatif, mais dans le préventif. Il faut une stratégie nationale là-dessus, propre à la territoriale, compte tenu de nos profils d’emplois.

Johan Theuret : La question de l’âge ne peut pas être abordée que pour des questions d’équilibre financier. En tout cas, cela soulève beaucoup de problématiques qui vont se jouer dans les fonctions publiques. Et la première d’entre elles, c’est la question de l’assiette qui va servir de référence. Si on veut un alignement, cela veut dire qu’on doit prendre enfin en considération le régime indemnitaire. Ce qui soulève la question de la soutenabilité financière pour les employeurs et avec des hausses de cotisations patronales. Il faut aussi rappeler que la pension moyenne de la CNRACL est de 1  320 €, alors qu’elle est de 1 400 € dans le secteur privé. Le niveau des pensions est donc en défaveur des retraités du secteur public.
Un autre élément à prendre en considération, c’est le taux d’emploi, qui est, pour le secteur privé, en dessous de celui du secteur public, qui emploie les agents jusqu’à l’âge de départ à la retraite, qu’ils soient « cassés » ou pas. Les employeurs continuent d’assumer la rémunération.

Les enjeux financiers sont monstrueux et honnêtement, pour avoir commencé à discuter du sujet avec Jean-Paul Delevoye (3) à l’époque, il n’y avait pas le début d’une réponse sur le financement dans la fonction publique.

Hélène Guillet : Le SNDGCT était plutôt favorable à la retraite universelle, avec intégration des primes, évidemment en précisant les conditions de financements, et le rythme auquel on va. Parce que les primes représentent une part considérable de la rémunération, qui s’écroule complètement au moment du départ à la retraite. Et plus on est haut en responsabilités et plus c’est vrai. C’est aussi très en lien avec des problématiques sociétales, notamment autour de l’égalité femmes hommes, sachant que plus on monte en strate, plus on monte en niveau de responsabilité, et moins on trouve de femmes.

Il y a sans doute une problématique autour de l’âge, mais la question est surtout celle de la manière dont on va jusqu’au bout de sa carrière professionnelle. Aujourd’hui, une grande partie des agents publics ne vont de toute façon pas jusqu’à l’âge légal à la retraite et s’arrêtent bien avant pour des aspects de santé, de réorganisation, de restructuration… Cela renvoie à la question de la prévention en amont, qui est de la responsabilité des employeurs publics. Une partie des métiers dans la FPT sont des métiers dits ouvriers et impliquent que les gens, de toute façon, ne vont pas au bout, car ils sont usés prématurément. Et puis il y a la question de la décence, de la rémunération qui subsiste après le départ à la retraite. Ce sont ces deux problématiques-là qu’il faut pouvoir traiter.

Johan Theuret : La clé de voute c’est quand même la lisibilité financière dont ont besoin les collectivités. Quand aujourd’hui on s’attelle à nos prospectives financières, et qu’on ne sait pas s’il va y avoir, à la fin de l’année, le retour du contrat de Cahors, la suppression de la CVAE, 3 % d’augmentation du point d’indice… est-ce qu’on est bien là dans de la bonne gestion ?

La DGAFP aurait soumis au nouveau ministre l’hypothèse de la décorrélation du point d’indice. Est-ce une perspective de travail intéressante, qui permettrait à la territoriale de faire valoir ses spécificités, ou une fausse piste ?

Johan Theuret : Je ne sais pas si c’est une fausse piste, mais je trouve que c’est une fausse solution. Je ne vois pas l’intérêt de la décorrélation. Je pense qu’il faut plutôt se battre sur la lisibilité, avec une formule d’indexation, savoir quand il y a une réévaluation du point ; donner une place aux employeurs territoriaux pour aborder les négociations et les discussions avec les organisations syndicales. La décorrélation, à l’heure où on parle de mobilité entre les différents versants, je ne vois pas l’intérêt, sauf à exacerber la concurrence entre les versants.

Jésus De Carlos : C’est une solution tout à fait libérale qui est cohérente avec le programme porté par monsieur Macron de marchandiser et de privatiser la fonction publique. Il y a juste un petit souci, c’est qu’un attaché territorial ou un attaché de préfecture ont les mêmes rémunérations – sans avoir forcément les mêmes primes d’ailleurs -, et on doit pouvoir exercer une mobilité entre les versants, qui serait totalement rompue si on devait décorréler.

Hélène Guillet : En fait, c’est quoi le but ? Est-ce que ce n’est pas, aussi, une manière de ne pas aller au bout des logiques de transposition en faveur de la territoriale ?

François Deluga : Je suis aussi totalement contre la décorrélation. Cela me rappelle une conversation avec Anicet Le Pors, le fondateur du statut de la fonction publique actuel, qui me disait : « ils ne prendront jamais le statut de front, mais le détricoteront petit morceau par petit morceau ». Mais la décorrélation, c’est un gros morceau ! Avec une contradiction fondamentale avec le discours en vigueur de mobilités accrue pour tout le monde dans toutes les fonctions publiques ! Je rappelle en outre que la coordination des employeurs territoriaux s’est déjà prononcée très officiellement contre cette décorrélation. Il y a unanimité des acteurs de la FPT contre cette idée, extrêmement dangereuse.

Note 01La table ronde s'est déroulée le mercredi 25 mai et fait l'objet d'un article dans le numéro 24 du magazine daté du 13 juinRetour au texte

Note 02de la masse salariale de chaque collectivité, ndlrRetour au texte

Note 03ancien haut commissaire à la réforme des retraitesRetour au texte