Craignant pour l'attractivité de leur métier, les directeurs de cabinet réclament une réforme de leur statut, datant de 1987.
C’est une onde de choc qui a frappé les collectivités le 29 mars 2023. La condamnation de l’ex-président du conseil départemental du Val-de-Marne et de son ancien directeur de cabinet, à des amendes respectives de 10 000 euros pour détournement de biens publics et 8 000 euros pour complicité dans le détournement de 29 emplois administratifs à des fins politiques, inquiète fortement les directeurs de cabinet.
Ils craignent de perdre durablement leur lien hiérarchique avec des services tels que le protocole, la presse, les relations internationales ou la communication, sous peine de conséquences pénales.
Perte de proximité avec l’exécutif
Or, sans autorité fonctionnelle du directeur de cabinet sur ces services, Aurélien Mallet, le président de Dextera, l’association des collaborateurs de cabinet de la droite et du centre, promet, « dans bon nombre de collectivités, des dysfonctionnements et ralentissements dans les prises de décisions, à cause d’une perte de proximité avec l’exécutif et de la lourdeur des circuits de décision dans la chaîne hiérarchique administrative ».
« Si rien n’est fait, le métier peut disparaître et les élus finiront par subir le diktat des services », alerte-t-il, redoutant d’être cantonné à des tâches de secrétariat, et donc confronté à une perte nette d’attractivité pour son emploi.
Le lancement d’une mission flash sur le métier et les fonctions de collaborateur de cabinet en collectivités territoriales au Sénat devrait permettre de faire des propositions pour sécuriser le fonctionnement de celles-ci. C’est en tout cas le but que s’est fixé l’un de ses rapporteurs, le sénateur (LR) Cédric Vial, qui reconnaît « une évolution de la doctrine des chambres régionales des comptes, qui pousse les collectivités à se réorganiser malgré elles. »
Plus largement, c’est une évolution du statut de collaborateur de cabinet, établi en 1987, et aujourd’hui obsolète, qui est attendue. « Nous sommes les chevilles ouvrières des collectivités territoriales. Et pourtant, nous restons cantonnés à un statut précaire et temporaire qui nous exclut de nombreux droits et protections », regrettent Jean-Michel Bernabotto et Lina Jali, les coprésidents de Dircab, l’association des directeurs de cabinet de gauche.
Pour y remédier, ils réclament, entre autres, la reconnaissance de leurs emplois comme des postes permanents pour plus de stabilité. Ils demandent une adaptation des contrats de travail afin d’y inclure des protections solides en cas de fin prématurée, et plaident, par exemple, pour l’instauration d’une indemnité de licenciement minimale pour les collaborateurs licenciés après plus de six mois de service. Ils souhaitent également la reconnaissance de leur autorité fonctionnelle sur certains agents, laquelle « ne doit pas déposséder celle des DGS », précisent-ils tout de même.
Permettre le remplacement des collaborateurs
Enfin, ils insistent sur la nécessité de permettre le remplacement des collaborateurs en congé de maternité ou de longue maladie, pour assurer la continuité du service public. Ce qui est très compliqué aujourd’hui, car ils restent inclus dans les plafonds de personnel, créant des risques juridiques pour les maires. « Si on les remplace, la chambre des comptes considère que le plafond de collaborateurs de cabinet que peut recruter une collectivité est dépassé », explique Cédric Vial. Une situation kafkaïenne.
Selon la secrétaire générale de l’AMF, Murielle Fabre, « il y a un besoin de clarification et de lien fonctionnel entre certains services et le cabinet, car il faut un regard politique sur ce qui est mis en place ». Les sénateurs Cédric Vial et Jérôme Durain (PS), rapporteurs de la mission flash sur le sujet, devraient rendre leurs conclusions ce 25 juin.
Yasmine Mecibah, directrice de cabinet de Saint-Genis-Pouilly (14 600 hab., Ain) et ex-coprésidente de l’association Dircab
« Etre enceinte dans une collectivité en tant que directrice de cabinet est très compliqué, car on ne peut pas être remplacé sans créer un poste supplémentaire. Je l’ai vécu. On est obligé de contourner un vide juridique. Nous devons donner un vrai statut à ce métier, avec un CDI lié à la mandature ou un CDD de six ans. Le statut actuel est obsolète. Sans réforme, les élus vont finir par ne plus vouloir recruter des femmes pour ces postes car, en cas de congé parental, c’est possiblement six ans d’absence. Il est scandaleux de créer encore, en 2024, cette double peine pour les femmes. Les directeurs de cabinet doivent pouvoir organiser les événements municipaux. C’est leur rôle. Sans cela, rien ne fonctionne. Nous travaillons main dans la main avec la DGS dans l’intérêt général. »
Eric Kragbe, Fondateur et associé gérant du cabinet Jacobins & Girondins
« Les collaborateurs de cabinet ont vu leurs missions évoluer considérablement au cours des 40 dernières années, avec une féminisation et un rajeunissement de la profession. Il y a maintenant une plus grande diversité de profils parmi les collaborateurs, reflétant la diversité des élus actuels. Pour protéger les collaborateurs, il est crucial de clarifier si leur contrat est considéré comme un CDD ou un CDI, car cela a des implications importantes pour l’accès aux droits comme la rupture conventionnelle. Les évolutions nécessaires doivent se faire au niveau du cadre d’emploi global de la fonction publique, avec des ajustements réguliers pour répondre aux besoins changeants des collectivités. Il faut une réévaluation régulière des statuts des collaborateurs de cabinet pour apporter les ajustements nécessaires car le métier de collaborateur de cabinet évolue constamment. Enfin, il est crucial de traiter les aspects statutaires fondamentaux pour améliorer les conditions de travail et les perspectives de carrière. »