Les résultats de la 15e édition du baromètre " La Gazette " - MNT confortent l'évolution enregistrée l'an dernier et s'inscrivent dans une tendance à l'amélioration du " bien-être " au travail ces dix dernières années. Certains indicateurs ternissent cependant le tableau.
C’est, à la fois, une confirmation du rebond amorcé l’année dernière et le résultat d’une dynamique de plus long terme. L’édition 2024 du baromètre « La Gazette » – MNT du bien-être au travail atteste d’un regain de moral des agents territoriaux. Après un creux de la vague lors de la pandémie, le niveau de bien-être renoue avec une tendance à l’amélioration amorcée depuis dix ans (voir le graphique n° 1).
Les chiffres demeurent toutefois en demi-teinte, seuls 17 % des sondés mentionnant une progression de leur bien-être au cours des douze derniers mois (quelle que soit la catégorie d’appartenance, avec de faibles écarts selon la collectivité employeuse).
Dans un contexte de fonctionnaire bashing, la satisfaction à exercer dans la fonction publique territoriale (FPT) retrouve, avec un score de 81 % (+ 5 points en un an, voir le graphique n° 2), son score d’avant Covid et révèle une relative stabilité sur les douze dernières années. Un ressenti partagé par 90 % des encadrants de catégorie A, contre 78 % des agents de catégorie C et 89 % des répondants travaillant dans un conseil régional, contre 78 % de ceux employés dans une mairie de moins de 10 000 habitants.
A un moindre niveau, travailler dans sa collectivité affiche aussi des résultats en hausse, à 71 % de satisfaits (+ 4 points), proches du plus haut niveau observé en 2012 (74%). « Ces chiffres méritent d’être connus. Je ne sais pas si on rencontre de tels résultats dans d’autres secteurs d’activités et organisations aux effectifs comparables et comportant une telle diversité de métiers », commente Vincent Lescaillez, président de l’Association des directeurs des ressources humaines des grandes collectivités.
Le sens de la mission
De fait, les agents territoriaux éprouvent à 83 % (87 % chez les catégories A et 86 % chez les B) une fierté à exercer leur métier. Ceux des secteurs « équipement-infrastructures-transport » (91 %), « culture-éducation-sports » (88 %) et des filières sociales et médico-sociales (88 %) font le plein des suffrages. Avec un pic à 96 % auprès des répondants de moins de 25 ans.
« Il s’agit peut-être d’un effet de valorisation du premier emploi ou de l’importance accordée par cette tranche d’âge à exercer une mission qui a du sens », note Nicolas Lonvin, directeur général des services du centre de gestion du Finistère (426 collectivités affiliées, 13 000 agents).
L’exercice d’une mission de service public (à 84 %, + 3 points en un an, mais – 2 points en dix ans), le degré d’autonomie (à 83 %, + 5 points) et les relations avec son équipe (à 82 %) sont les trois principaux facteurs de satisfaction des agents interrogés. Sont reléguées en bas de tableau les marques de reconnaissance (48 % des réponses) et surtout, la rémunération, qui ne satisfait pas un tiers des sondés (sauf dans les conseils régionaux, avec 46 % de réponses favorables), alors qu’elle figure en première place des facteurs d’épanouissement professionnel.
« Malgré les efforts importants des dernières années – coup de pouce sur le point d’indice, valorisation du Rifseep dans de nombreuses grandes collectivités – le retard n’a pas été rattrapé et une vraie problématique de pouvoir d’achat demeure », reconnaît Vincent Lescaillez, également directeur général adjoint « ressources humaines et administration générale » de Bordeaux métropole.
Attachement au service public
Les agents confient d’abord le sentiment de rendre un service de qualité aux usagers (79 %, et jusqu’à 85 % dans les mairies de moins de 10 000 habitants, donc davantage en proximité), de veiller à la bonne gestion de l’argent public (69 %) et d’exercer la solidarité au quotidien (64 %, et même 89 % dans les filières sociale et médicosociale).
En matière de reconnaissance, les agents sondés plébiscitent celle de leurs pairs ou de leurs collègues (77 %) avant celle des usagers (65 % en moyenne, et 71 % dans les communes de moins de 10 000 habitants, davantage en proximité) ou de la hiérarchie (55 %). La reconnaissance sociale liée au métier n’arrive qu’en quatrième position (49 %), devant, cependant, la reconnaissance du travail par les élus (38%).
Dans la réalisation de leur tâche quotidienne (voir le graphique n° 3), les agents sont particulièrement sensibles au soutien de leurs collègues (80 %), à la confiance de leur hiérarchie (75 %, + 4 points), à la bonne utilisation des compétences de chacun) et à des pratiques managériales efficaces (65 %, + 3 points).
Ces indicateurs suivent tous une courbe ascendante depuis dix ans et sont à mettre en regard des autres données du baromètre sur les facteurs de satisfaction ou relatives aux conditions de travail (65 % des sondés) ou aux relations avec la hiérarchie (66 % de satisfaction). « Cela confirme qu’il y a des attentes fortes vis-à-vis du travail », observe Jérôme Grolleau, sociologue-consultant.
Un horizon contrasté
Quant aux perspectives d’avenir (voir le graphique n° 4), si la confiance affiche une progression depuis dix ans (sauf à l’égard de l’évolution du service public), elle demeure somme toute relative : ils ne sont en effet que 40 % des agents sondés à envisager favorablement leurs perspectives professionnelles, 26 % leurs perspectives d’avancement au sein de leur collectivité et 14 % celles de l’évolution du statut.
Ces résultats en demi-teinte se traduisent par des niveaux de fatigue nerveuse (3,5/5) et physique (2,6/5) non négligeables, lesquels, néanmoins, n’ont jamais été aussi bas depuis 2015. A noter que les agents de catégorie B et ceux travaillant dans les intercommunalités urbaines ou périurbaines apparaissent les plus préservés. A hauteur de 75 % (- 1 point), le niveau de stress ressenti (voir le graphique n° 5) atteint, lui aussi, un plancher, tout en restant à un niveau élevé.
Dans le détail, les agents en horaires atypiques sont plus nombreux à déclarer en éprouver (83 %), tout comme les métiers de la sécurité-prévention (81 %) et les agents travaillant dans les mairies de moins de 10 000 habitants (78 %). En tête des explications avancées à ce niveau de stress, les difficultés relationnelles, principalement avec la hiérarchie (37 % des sondés) et une mauvaise organisation du travail (44 %).
La pression retombe
Soumis à un stress élevé, les agents sont en revanche moins nombreux à ressentir une pression excessive de la part de leur hiérarchie (53 %, – 7 points en un an et jusqu’à 61 % dans les conseils départementaux) et des élus (39 %, – 7 points aussi et jusqu’à 50 % dans les communes de moins de 10 000 habitants). C’est la baisse des effectifs qui pourrait davantage leur peser.
Enfin, plébiscité ces dernières années, le télétravail (voir le graphique n° 6), est encore jugé positivement sur le bien-être par 84 % des agents, mais la tendance recule de douze points en un an. « Aujourd’hui, la pratique est normalisée et réinterroge le collectif de travail, la relation aux collègues. Il y a sans doute aussi un phénomène d’habitude et on ne ressent plus les bénéfices que l’on éprouvait avant », commente Emilie Agnoux, cofondatrice du groupe de réflexion Le Sens du service public.
Méthodologie. Etude réalisée en ligne pour « La Gazette » et la MNT, du 27 août au 20 septembre 2024, auprès de 5 071 agents de la fonction publique territoriale, dont 85 % d’agents statutaires. Etude produite par Infopro Digital études (etudes@infopro-digital.com).
« Une amélioration des indicateurs globaux de satisfaction, mais de gros points noirs »
Sociologue-consultant, Jérôme Grolleau est l’auteur de plusieurs études sur la fonction publique territoriale et ses agents. Il pointe les résultats en demi-teinte du baromètre 2024 du bien-être au travail.
Quel regard portez-vous sur ce quinzième baromètre « La Gazette » - MNT ?Les résultats sont contrastés, avec une dynamique d’amélioration des indicateurs globaux de satisfaction, mais, en même temps, de gros points noirs. Mis en perspective sur dix ans, de nombreux items s’améliorent régulièrement, traduisant une évolution de long terme que je mets en relation avec la montée en puissance des actions managériales sur la période, grâce, notamment, aux actions de formation au management. Il y a aussi une forme de confirmation de l’utilité sociale de l’action publique locale : depuis le Covid, elle reste en première ligne tout le temps et sur de multiples sujets : mobilité, inondations, enjeux sociétaux…
En progression, certains chiffres plafonnent cependant à un niveau assez faible…Effectivement, même lorsque les indicateurs sont favorables, la part des « très satisfaits » ne représente pas plus de 25 %, voire 20 %. Bien qu’en hausse, le bien-être, les perspectives d’avancement, la reconnaissance affichent même des scores très bas. Cela signifie qu’il reste des marges d’amélioration. Des collectivités territoriales mènent des actions innovantes, mais ce n’est pas le cas partout et ces démarches n’agissent pas forcément en profondeur, peut-être parce qu’elles ne touchent pas le terrain ou ne s’inscrivent pas dans le fonctionnement quotidien des organisations.
La satisfaction en termes de reconnaissance reste un point sensible. Comment l’expliquez-vous ?Les résultats ne sont pas élevés, or il y a beaucoup d’attente. Et l’on comprend pourquoi. Depuis un certain nombre d’années, on observe une forte intensification du travail : il faut aller plus vite, faire face à de nombreux imprévus, s’adapter à de multiples changements. Ces transformations puissantes puisent dans les ressources personnelles psychiques, physiques et relationnelles des gens. Le sujet est d’autant plus sensible que, par ailleurs, le rapport au travail devient plus intime. Il s’inscrit a priori dans une logique d’épanouissement de soi et non de sacrifice de soi. L’enjeu est de s’y retrouver et d’y développer confiance et estime de soi. Les attentes de reconnaissance sont donc massives.
Les perspectives d’avenir sont aussi peu réjouissantes…On voit bien que cet indicateur pose problème. Aujourd’hui, plus personne n’a confiance en l’avenir. Mais le point central se concentre sur les perspectives professionnelles de manière générale et sur celles d’avancement dans la collectivité. La question est très importante car elle reflète la représentation que l’on a de soi et de son organisation. Si la personne n’envisage aucun horizon possible, c’est très fragilisant pour elle. Bien sûr, sur dix ans, les chiffres progressent. Mais ils restent très bas.