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Stanislas Guerini : « Nous avons besoin d'un dialogue social fort »

Publié le jeudi 1 décembre 2022 , www.lagazettedescommunes.com

" La Gazette " interroge Stanislas Guerini sur les enjeux, et les crises, de la fonction publique, près de six mois après son arrivée à la tête du ministère de la Transformation et de la fonction publiques. Premier défi : réussir les élections professionnelles qui débutent.

visuel Stanislas Guerini : « Nous avons besoin d'un dialogue social fort »

Les élections professionnelles débutent. Quel message souhaitez-vous adresser aux agents et aux employeurs publics ?

Je souhaite porter un message de mobilisation : État et collectivités, à partir aujourd’hui et jusqu’au 8 décembre, nous devons être au rendez-vous de ces élections pour les réussir. Au niveau technique d’abord, et je me suis pleinement investi en ce sens. Je mesure les difficultés sur le terrain, les inquiétudes, par rapport au vote électronique par exemple. Pour autant, je vois que les agents publics sont pleinement impliqués avec des listes constituées et je sais qu’un grand nombre d’entre eux sont mobilisés pour ce moment clé de démocratie sociale. Ensuite, ces élections doivent être une réussite politique pour que les agents fassent entendre leurs voix par le vote. Je regrette que les élections professionnelles suivent la même érosion de participation que les autres scrutins : le taux de participation des dernières élections professionnelles est passé sous la barre des 50 %. Il est donc primordial d’expliquer le rôle des instances pensées ou repensées par la loi de Transformation de la fonction publique de 2019 qui vont prendre vie au 1er janvier 2023, comme les comités sociaux territoriaux. On doit aussi expliquer très clairement les enjeux qui y seront débattus : attractivité, modèle social, retraites, accessibilité etc. Les défis sont nombreux, alors nous avons besoin de dialogue social fort et d’une démocratie sociale qui fonctionne. C’est ce à quoi contribuent les élections professionnelles, dans les collectivités comme dans le dialogue avec le Gouvernement.

La première revendication des syndicats, c’est la revalorisation des salaires. En la matière vous souhaitez dissocier métier et grade, mais également mener des réflexions sur les bassins d’emploi…

L’attractivité doit se penser au sens large, à la fois sur la fiche de paie mais aussi en dehors, dans la vie des agents. Ce sont deux leviers indissociables pour une attractivité pérenne. C’est vrai pour les trois versants, mais singulièrement dans la FPT. Sur la fiche de paie, je n’ai pas attendu pour agir face à la hausse inédite de l’inflation avec la revalorisation, historique elle aussi, du point d’indice. C’était incontournable. Mais après une réponse conjoncturelle comme celle-ci, il faut une réponse structurelle pour tous les agents publics, titulaires et contractuels, sur la construction des parcours et des rémunérations.

Je souhaite mener une réflexion sur ce qui peut être commun et ce qui peut être davantage différencié, tout en restant dans le cadre statutaire global. Je veux que l’on raisonne davantage en tenant compte des spécificités des métiers, mais aussi des territoires. L’attractivité de la fonction publique et les situations économiques des agents ne sont pas les mêmes que l’on soit dans une grande métropole, en zone rurale ou en zone transfrontalière par exemple. Je veux donc redonner la main à l’employeur territorial, lui donner des outils, de la liberté pour engager des initiatives.

Cela passe par une réflexion sur les modalités d’accès à la fonction publique, comme la pertinence des concours ou de leur contenu. Des situations de concurrence se sont créées entre versants de la fonction publique : il faut réfléchir à une harmonisation notamment sur les concours sur titre entre hospitalière et territoriale. Il faut aussi redonner des marges de manœuvre aux employeurs locaux en matière de promotions, par exemple sur les quotas. Ce qui importe, au fond, c’est de redonner la capacité de bâtir des carrières dans la fonction publique, et que les élus locaux, comme tous les employeurs publics, deviennent des bâtisseurs de carrières.

La question du logement, enfin, est déterminante, pour les agents des trois fonctions publiques en fonction des bassins de vie, car les différences tiennent plus à ces bassins de vie qu’à la fonction publique d’appartenance. C’est l’une de mes priorités. J’ai d’ailleurs lancé un groupe de travail « accès au logement ».

Le Rapport attractivité de la FPT de Laurent/Icard/Desforges proposait de créer une sorte de « Medef territorial ». Y êtes-vous favorable ?

J’ai une réserve sur cette expression de « Medef territorial » qui renvoie à un mode de représentation des acteurs privés et de défense de leurs intérêts qui n’est pas du même registre que la fonction publique, par définition au cœur de l’intérêt général. Mais je souligne tout l’intérêt de la démarche de la coordination des employeurs territoriaux, avec laquelle j’échange régulièrement dans un esprit je crois de confiance mutuelle.

Et si cela peut se traduire également par une coordination entre employeurs territoriaux à l’échelle des bassins de vie, je dis banco ! On doit pouvoir partir des enjeux spécifiques du terrain pour penser la fonction publique de façon plus unifiée. Et pour cela, la collaboration avec l’Etat déconcentré doit se renforcer. Le président le de la République a d’ailleurs annoncé la réouverture progressive de sous-préfectures. Cela doit servir à enrichir le dialogue, penser de façon cohérente l’ensemble des problématiques RH.

Il y a un an, Amélie de Montchalin, demandait aux préfets de veiller au respect, par les employeurs territoriaux, de leurs obligations, notamment en matière de télétravail, d’égalité, de Rifseep… Où en est-on ?

La culture des employeurs territoriaux sur tous ces sujets a fort heureusement évolué et je suis pour ma part attaché à ce que la loi s’applique. Je ne vois jamais un employeur qui freine ou bloque sur ces questions par idéologie, c’est en réalité plus souvent par méconnaissance ou par difficulté sur la gestion du temps. Je crois au travail partenarial, à l’accompagnement à l’atteinte d’objectifs précis, sur une problématique spécifique, c’est la méthode que je veux porter. Il y a des avancées très nettes, notamment en matière de primo-nominations féminines. Il convient maintenant, notamment, d’élargir ce dispositif de nominations et de rémunérations équilibrées.

A quoi les territoriaux doivent-ils s’attendre pour la réforme de leurs retraites ?

Nous avons achevé le cycle de concertation avec les organisations syndicales et les employeurs. Une chose est certaine : nous devons collectivement travailler plus longtemps, et les grands principes, comme le report de l’âge d’ouverture des droits, doivent s’appliquer de la même manière au public et au privé. Les Français ne comprendraient pas que l’on n’aille pas vers cette convergence. En revanche, il n’y a pas lieu d’aligner certaines règles telles que celle du calcul sur les six derniers mois d’activité – contre les 25 meilleures années dans le secteur privé. Les fonctionnaires ne sont pas des « privilégiés » comme les études le montrent, compte tenu de la non-prise en compte des primes dans le calcul.  Il convient d’autre part de continuer à mieux prendre en compte les enjeux de la pénibilité par la gestion des catégories actives.

Certaines organisations professionnelles ont fait savoir qu’elles répondraient présentes à un échange sur un projet de décorrélation du point d’indice si c’était proposé. Souhaitez-vous, oui ou non, mettre le sujet sur la table ?

Non, je n’envisage pas de mettre ce sujet sur la table. Et d’ailleurs l’immense majorité des employeurs territoriaux a bien indiqué ne pas vouloir  se décorréler des deux autres versants de la fonction publique. Ils souhaitent en revanche qu’on discute davantage en amont les décisions que l’on prend. C’est la raison pour laquelle la revalorisation de 3,5% du point d’indice s’est faite en concertation avec les employeurs territoriaux, parce qu’on en assume tous ensemble les conséquences financières.

En vérité, je crois profondément à l’unicité de la fonction publique : on sert le même intérêt général,  avec des problématiques diverses, certes, mais qui ne doivent pas se traduire par la dislocation de la fonction publique. Je crois que c’est dans ce cadre unitaire qu’on doit pouvoir donner plus de flexibilité, différencier les parcours en fonction des responsabilités, favoriser la mobilité entre versants, proposer des carrières riches qui ne sont pas suffisamment développées, au sein de chaque fonction publique comme entre les trois versants.

Confirmez-vous qu’il y aura convergence rémunération des administrateurs de l’État/Rémunération des administrateurs territoriaux ?

Nous avons passé une étape sur la réforme de la haute fonction publique de l’État avec une nouvelle grille pour les administrateurs de l’État qui fusionne deux corps et met en extinction treize autres corps préexistants, avec la suppression du classement de sortie de l’INSP… En 2023, il nous faut poursuivre cette dynamique pour l’État, mais aussi prévoir la déclinaison de cette réforme de manière adaptée aux autres versants, dont la territoriale. L’objectif est d’avoir une réflexion plus large sur ce qui doit être commun, de raisonner en termes de compétences plus que de statut, d’aborder aussi le sujet de la diversité, de l’égalité professionnelle… Il nous faut un socle commun, pour favoriser là encore les mobilités dans l’encadrement supérieur de la fonction publique tous versants confondus. Il faut aussi clairement récompenser la performance, cela n’est pas un gros mot.

Que pensez-vous du label à venir « Hauts fonctionnaires territoriaux, experts climat » ?

Je ne peux que saluer cette initiative et l’encourager. Elle rejoint celle lancée il y a quelques semaines pour former 25 000 cadres de la FPE à la transition écologique. Je souhaite que les cadres de la fonction publique territoriale puissent également y être formés. Les grands enjeux sur notre climat, notre biodiversité et nos ressources naturelles doivent être partagés entre les trois fonctions publiques, entre les collectivités et l’Etat, avant le passage à l’action. Il y a un travail important de synergie à mener avec les employeurs territoriaux et le CNFPT.

Les missions des DGS seront elles bientôt définies dans un texte ? À quel horizon ?

La déclinaison de la réforme de la haute fonction publique à la territoriale devra se faire de façon adaptée, et tenir compte notamment de la spécificité de ses emplois fonctionnels de DGS et DGA. C’est dans ce cadre que nous approfondirons, avec les représentants des employeurs territoriaux, la meilleure manière de répondre à cette interrogation pour préciser les fonctions des DGS qui sont des appuis précieux pour les élus locaux à la tête de leurs administrations.

Pourquoi, dans le cadre du PLF 2023, vous êtes-vous retiré du financement de l’apprentissage des collectivités territoriales ?

Ce n’est nullement le cas puisque le Gouvernement a décidé de financer, en 2023, l’apprentissage au même niveau qu’en 2022. Cela représente 15 millions d’euros pour le budget du ministère, 15 millions d’euros côté France compétences. C’est la poursuite de l’effort de l’Etat qui a porté ses fruits puisque l’objectif de 8000 apprentis dans la FPT a été dépassé : ils sont 12 000.

Cet engagement renouvelé en 2023 va permettre d’entamer  une discussion sereine pour trouver le bon modèle de financement à mettre en place par la suite. La clé pour moi, c’est que l’apprentissage soit une vraie voie d’accès à la FPT. Actuellement, les collectivités recrutent des apprentis à l’issue de leur formation, c’est une réponse aux difficultés d’attractivité sur les métiers en tension. Mais les collectivités ont une gêne à financer la formation d’apprentis qui ensuite partent vers une entreprise du territoire. Elles nous disent « financez-en une partie, sinon on est un centre de formation qui bénéficie au privé ». Je l’ai compris. Je souhaite favoriser l’apprentissage comme une voie de pré-recrutement pour les collectivités locales, dans le cadre de leur politique d’emploi : c’est dans cette perspective qu’il faudrait repenser les termes du financement par les employeurs territoriaux qui peuvent eux-mêmes financer l’apprentissage, car c’est l’objectif à terme. Je suis transparent sur les équilibres de financement mais je suis conscient de la nécessité de ne pas se désengager brutalement.

Un agent de la fonction publique a été assassiné la semaine passée.  Les violences à l’encontre des fonctionnaires augmentent. Faut-il renforcer les sanctions des agresseurs, comme pour les élus ?

Je veux d’abord avoir une pensée pour cet agent, sa famille, ses proches et sa collègue qui a été séquestrée. Nous faisons face à ces faits, avec fermeté et détermination.

Nous avons mis en place la protection fonctionnelle renforcée pour les élus, qui existe aussi pour les agents de la fonction publique et leurs ayants droits, à laquelle viennent s’ajouter des initiatives des employeurs, comme les collectivités territoriales qui équipent leurs agents de boutons d’urgence, veillent à ne jamais laisser un agent seul dans un bâtiment… Ce sont ces réflexes de la vie quotidienne qu’il faut mieux diffuser.

Sur ce sujet, je ne suis pas certain que nous ayons besoin de modifications dans les textes. Mais d’une implication quotidienne pour garantir cette protection, face à une société qui devient plus violente. Et lorsque des faits surviennent, les agresseurs doivent être punis sévèrement. Notre main ne doit pas trembler.

A l’occasion du 9 décembre, journée nationale de la laïcité, quel bilan tirez-vous des formations à son respect dans la fonction publique ?

Avec Sonia BACKES, secrétaire d’État en charge de la Citoyenneté, nous avons réuni le réseau des référents laïcité des ministères, et nous prévoyons de faire un bilan du nombre d’agents formés depuis 2021. Il y a un virage concret sous l’impulsion du Président de la République : l’ensemble des agents des trois versants de la fonction publique doivent être formés d’ici à 2025 et je serai attentif à ce qu’il n’y ait aucune exception à cette formation et à la mutualisation des outils. Au quotidien, on observe des provocations, des remises en cause. Il n’y a aucune discussion sur la ligne à avoir, pour faire respecter la laïcité au quotidien, nous devons nous donner les outils pour ne laisser aucun agent démuni.

Le 9 décembre se tiendra le comité interministériel laïcité autour de la Première ministre. J’aurai l’occasion de rappeler la nécessité du déploiement du réseau et de l’animation de nos référents laïcité, y compris dans la fonction publique territoriale.

Comment concilier dématérialisation et numérisation des services publics avec les préoccupations de sobriété énergétique ?

La numérisation est indispensable et incontournable, mais il faut le faire de la bonne manière. Elle doit être inclusive, ouverte aux situations de handicap et être accompagnée, la plupart du temps, d’une alternative humaine. C’est ce que l’on fait avec les conseillers numériques et les Maisons France services. La numérisation doit aussi être responsable écologiquement parlant. Nous mobilisons fortement la Direction interministérielle du numérique (DINUM) pour promouvoir un numérique éco-responsable et accompagner les acteurs sur le sujet. Nous devons aussi être attentifs à la consommation, notamment des serveurs, à l’utilisation du matériel et son recyclage, dont la durée de vie a un fort impact environnemental. C’est l’un des grands axes de la transition et de la sobriété au sein des administrations. Encore une fois, tout cela ne peut fonctionner que lorsqu’on forme les acteurs et cela doit se construire avec les administrations déconcentrées et les collectivités.

Comment lutter contre les arnaques aux services publics en ligne et renforcer la cybersécurité des collectivités ?

Des moyens très importants ont été alloués à l’occasion du plan de relance. On doit les faire vivre. Le risque cyber s’accroit, cela devient le quotidien de la fonction publique, singulièrement pour la FPT. On retrouve là les enjeux de recrutement : il est difficile de recruter un DSI dans les collectivités, il nous faut travailler à constituer une filière du numérique dans les administrations publiques. L’agence nationale de la sécurité des systèmes d’information a renforcé son appui aux collectivités, notamment en matière de prévention.

Il faut aussi des outils mutualisés et fiables de cybersécurité. Je pense par exemple à France Connect, utilisé par des usagers confrontés à des arnaques au Compte personnel de formation : nous sommes passés à « France connect + » en nous appuyant sur la sécurisation renforcée qu’apporte l’identité numérique de La Poste pour ne laisser personne démuni et garantir un cadre serein d’accès à ses services publics en ligne. Grâce à cela, nous avons enfin connu les premières journées sans signalement de fraude.