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Les DRH au pied de la montagne des datas

Publié le vendredi 13 juillet 2018 , www.lagazettedescommunes.com

Les administrateurs territoriaux ont consacré un atelier de leur récent congrès au sujet brûlant de la place du numérique et des données dans les métiers des RH. Osant même la question d'un futur DRH data scientist. Mais entre craintes du tout numérique, compréhension des enjeux et nécessaire montée en compétences, la marche est encore haute avant de le voir advenir.

visuel Les DRH au pied de la montagne des datas

Le débat a beau n’être qu’émergent, il n’y a aucune raison pour que les activités des DRH dans les collectivités échappent à la transformation numérique de la société. Les administrateurs territoriaux l’ont bien compris, en organisant, le 2 juillet lors de leur congrès de Toulouse, un atelier sur le thème « Sciences des données, RH et animation managériale : vers le « DRH data scientist » ? ».

A l’instar du serpent de mer du dossier médical numérique, le dossier numérique de l’agent avance moins vite que le transfert de données du temps des modems 56K. Les questions qu’il pose, et les difficultés à surmonter sont réelles : numérisation générale des systèmes d’information RH, identification des droits d’accès aux données, protection des données personnelles…

Un chatbot ne produit pas du service

Mais d’autres outils numériques sont peut-être plus accessibles, plus facilement déployables dans les services des collectivités. Ce pourrait être le cas des agents conversationnels, les chatbots, dont une démonstration a été proposée aux administrateurs territoriaux : « puis-je déposer un jour de congés dans 3 jours ? » ; « comment obtenir une autorisation de déplacement ? » ; « comment déclarer des heures supplémentaires »…

Autant de questions posées par les agents, chaque jour de chaque année, dans toutes les collectivités, et auxquelles ces fameux chatbots peuvent aujourd’hui répondre simplement via une interface web. L’accès est ludique, les agents chargés d’apporter les réponses pourraient être re déployés sur d’autres missions plus qualitatives… Mais est-ce aussi simple ?

« Si on dématérialise un process qui ne marche pas, il ne marchera pas mieux, prévient Harmony Roche, DRH adjointe au conseil départemental des Pyrénées Atlantiques. La dématérialisation doit être l’occasion de réinterroger ses process, sans se tromper sur la nature des outils : un chatbot, par exemple, ne produit pas du service en apportant des réponses, il renvoie simplement vers le lieu où l’agent trouvera une réponse ».

Alors que les saynètes servant la démonstration du chatbot ont provoqué quelques rires chez les administrateurs, Harmony Roche interpelle :

– « Est-ce qu’il n’y a pas un enjeu, sur le sujet RH, de conserver une relation entre êtres humains ? »

– « Effectivement, je crains que, sur un tel service, les syndicats réagissent en évoquant la déshumanisation », répond une administratrice.

– « Un chatbot, pour moi, ça rompt la relation, parce que c’est avec des questions de bases qu’on a des réponses qui créent du lien entre les équipes », veut croire un autre.

– « C’est vrai que c’est efficace pour des questions très pragmatiques, simples, mais faut-il envisager toutes les questions sur ce même plan ? », interroge Charles Henri Beysseres des Horts, professeur émérite HEC. « Si on veut parler d’argent par exemple, il faut maintenir une relation humaine. Oui l’outil simplifie et peut produire des réponses qui semblent individualisées, mais cela ne doit pas supplanter toute relation humaine ».

Mais un autre administrateur rétorque :

– « L’avantage, c’est qu’on s’exprime en langage naturel, c’est donc très orienté utilisateurs, les agents n’ont pas à apprendre où est caché une information, puisque la question est posée ‘avec ses mots’ ».

Antoine Marcha, de Gogowego, la start up qui produit le chatbot se veut conciliant, sans oublier d’être commerçant : « effectivement, le robot, ou l’intelligence artificielle (IA) ne remplacera jamais un humain, mais cela simplifie beaucoup de choses, on va autour de 80 % d’automatisation des demandes et procédures simples. Cela permet aux services RH de se consacrer à d’autres tâches », sans s’appesantir sur la possibilité, aussi, de diminuer les emplois.

Données et informations standardisées

Au-delà de la robotisation des réponses, d’autres champs d’intervention des services RH pourraient évoluer grâce aux outils numériques, ou de l’exploitation des données. Les administrateurs ne sont pas en manque d’idées. Pour l’une, « en étudiant les cycles de carrières, on pourrait mieux prédire les probabilités de départ de tel ou tel agent ». Pour un autre, « l’analyse des données de connexions pourraient permettre de détecter ceux qui ont une activité anormale, afin de prévenir les burn out ». Une troisième projette de « faire beaucoup mieux sur la masse salariale, quasi du prédictif, en analysant quand les gens partent en congés par exemple, ce qui déclenche des remplacements, donc des coûts de CDD ».

Du rêve à la réalité, il y a un pas, qui supposerait, avant tout de disposer de données numérisées et standardisées entre collectivités : « les entretiens d’évaluation contiennent une mine d’informations, dont on ne fait pas grand-chose, tout simplement parce qu’ils ne sont pas toujours numérisés », se désole un intervenant. « Je suis très surpris, par exemple, que dans le recensement des compétences, très peu de collectivités utilisent en réalité des données de référence telles que le répertoire des métiers du Cnfpt », abonde un confrère.

D‘autres limites  relèvent de questions éthiques qui sont peu, ou mal appréhendées. Alors que les services RH manipulent plusieurs bases de données, rares sont les réflexions qui établiraient les droits d’accès et de partage au-delà du service RH. Ainsi, les managers ne peuvent prendre connaissance de données qui leur seraient pourtant utiles dans leurs fonctions. En outre, de telles réflexions nécessiteraient des compétences, permettant la manipulation des données, qui font aujourd’hui défaut dans la plupart des collectivités.

Claire Sorentini, DGA du conseil départemental de Seine-Saint-Denis confirme : « au-delà des outils, la transformation numérique demande un changement de compétences, pour passer de l’exécution à l’analyse. On a beaucoup de données, mais on n’en fait rien, en termes de prospectives, de mise en relation entre les besoins et les agents… et il est encore rare que l’agent soit à la source ou participe à la transformation ».

La montagne numérique est encore haute, mais, en identifiant les risques et les enjeux, les administrateurs ont atteint le premier camp de base.