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Les conservateurs de musées, des managers comme les autres

Publié le mercredi 21 mars 2018 , www.lagazettedescommunes.com

Les conservateurs du patrimoine directeurs de musées territoriaux sont-ils prêts à sortir de leur posture d'expert pour assumer des fonctions de management et comment les directions RH et culture des collectivités peuvent-elles les accompagner ?

visuel Les conservateurs de musées, des managers comme les autres

Musée de Bibracte (EPCC), Copie de casque en bronze orné d’un volatile (IIIe-IIe s. av. J.-C.). provenant d’un dépôt dans le sanctuaire de Tintignac (Corrèze) ©Bibracte5871 CC BY SA 3.0

« Expertise technique, gestion financière et management d’équipe, il nous faut jongler au quotidien entre toutes ces exigences, rapporte Odile Lassère, directrice du musée de l’Histoire du fer géré par la métropole du Grand Nancy [20 communes, 1 375 agents, 256 500 hab.]. On nous demande du stratégique, de l’opérationnel, nous sommes de fait des managers. »

Pas évident, pourtant, que les conservateurs territoriaux, directeurs ou adjoints de musées, parviennent toujours à sortir de leur domaine d’expertise pour incarner cette posture de manager, désormais nécessaire. Comment s’y prendre ? « Pour installer un leadership, le directeur doit savoir donner du sens et le partager avec son équipe, indique Corinne Poulain, directrice de la culture à la métropole de Rennes [43 communes, 1 317  agents, 438 000 hab.]. Pour ce faire, il doit avoir une réflexion sur la place de son musée dans sa collectivité, et une capacité à travailler avec son équipe, ses élus, les autres directeurs. »

Tisser des liens avec d’autres services

Pour favoriser leur intégration, une bonne pratique consiste à leur demander un « rapport d’étonnement » : « On demande à l’agent, quelques mois après sa prise de fonctions, d’écrire ses observations sur l’organisation, les méthodes de travail, l’ambiance, la stratégie d’un service, explique Odile Lassère. Ma collectivité le pratique avec ses cadres et va l’étendre à tous les agents. » Corinne Poulain utilise aussi cet outil de management : « Ce regard extérieur d’un nouveau directeur m’est utile et lui permet de percevoir rapidement les enjeux de la collectivité, du musée, et de construire sa stratégie. »

« Les conservateurs doivent s’intéresser davantage aux préoccupations de la collectivité, construire un projet d’établissement en résonance avec le projet politique local, et savoir le vendre pour ne plus être les variables d’ajustement budgétaires », plaide Jean-François Arthuis, ex-directeur général des services du Maine-et-Loire.

La création de nouvelles intercommunalités est selon lui une opportunité pour se positionner, jouer un rôle sur le sentiment d’appartenance des habitants, ou d’appropriation de l’histoire locale.

Les conservateurs doivent s’intéresser davantage aux préoccupations de la collectivité, construire un projet d’établissement en résonance avec le projet politique local, et savoir le vendre pour ne plus être les variables d’ajustement budgétaires, Jean-François Arthuis, ex-directeur général des services du Maine-et-Loire

Cette implication dans la collectivité nécessite de laisser aux directeurs de musées « une liberté d’initiative, de les inviter aux réunions stratégiques avec les élus », souligne Christophe Vital, administrateur de l’Association générale des conservateurs des collections publiques de France (AGCCPF). Il faut aussi leur permettre de rencontrer les directeurs des autres services, lors de séminaires communs par exemple, et « veiller à ce qu’ils suivent bien les formations internes au même titre que les autres cadres », ajoute Corinne Poulain.

Le conservateur peut ensuite tisser des liens avec d’autres services de la collectivité et envisager des projets communs : « Par exemple, collaborer avec l’équipe municipale des espaces verts pour valoriser le jardin du musée sur une thématique, propose Christophe Vital, ou, dans un musée départemental, l’équipe des publics peut travailler sur le handicap avec la direction de l’action sociale. »

La collectivité doit accompagner les conservateurs sur le volet RH de leur projet d’établissement. A la métropole de Rennes, la direction de la culture a réalisé un audit des pratiques managériales de tous les équipements culturels : « Certains sont assez avancés, mais d’autres n’avaient même pas une réunion d’équipe par mois, nous avons dû imposer un socle minimum », explique Corinne Poulain.

« Avant d’arriver au CD du Maine-et-Loire, quand j’ai pris mes fonctions à la ville de Rouen [2 170 agents, 110 000 hab.], j’ai réuni le personnel des sept musées gérés par la collectivité – conservateurs, médiateurs, gardiens – et leur ai dit : vous avez un métier, voici vos missions. Cela n’avait jamais été fait ! » rapporte Jean-François Arthuis. Il suggère au conservateur de réaliser, avec l’appui de la DRH, des fiches de poste pour les membres de son équipe et des entretiens annuels d’évaluation, « c’est la base, mais peu le font », constate-t-il.

Les formations en progression sur le sujet

Les conservateurs sont-ils bien préparés au management d’équipe ? « La formation initiale a beaucoup progressé sur cet aspect-là, et puis on se forme pendant toute sa carrière, confirme Odile Lassère. Je reviens d’une formation de six jours à l’Institut national spécialisé d’études territoriales [Inset] de Nancy. C’est bien pour prendre du recul et développer des pratiques participatives. »

Les capacités managériales s’acquièrent aussi avec la maturité et l’expérience, « par une fonction d’adjoint, ou la direction d’un tout petit musée, qui permet de connaître tous les métiers : cela donne une légitimité et une capacité de dialogue, mais le système des concours ne favorise pas toujours cette diversité d’expériences », souligne Corinne Poulain.

Par une fonction d’adjoint, ou la direction d’un tout petit musée, qui permet de connaître tous les métiers : cela donne une légitimité et une capacité de dialogue, mais le système des concours ne favorise pas toujours cette diversité d’expériences, Corinne Poulain, directrice de la culture de Rennes métropole.

Pour motiver ses agents et leur donner des perspectives, le directeur peut « construire des parcours professionnels sur trois ans, incluant des formations-actions en lien avec le projet d’établissement », poursuit Jean-François Arthuis.

« Et pour éviter la routine et l’isolement de l’équipe, proposer des stages courts dans d’autres services de la collectivité », suggère Christophe Vital. Une idée que la métropole de Rennes va expérimenter à grande échelle avec des échanges de postes sur six mois. « Pour remédier à la problématique de la mobilité dans les équipements culturels, qui fait partie des difficultés de management », conclut Corinne Poulain.

« Il y a une responsabilité de la collectivité à faciliter les mobilités »

Corinne Poulain, directrice de la culture de Rennes métropole

[43 communes, 1 317  agents, 438 000 hab.] « J’ai eu le feu vert de la DRH pour expérimenter des échanges de postes à l’intérieur de la direction de la culture, qui compte 550 agents. La ville et la métropole de Rennes gèrent douze équipements culturels en régie directe. Nous allons lancer un appel à mobilité pour permettre aux agents volontaires – des archives, centre d’art, musées, opéra, etc. –, quel que soit leur métier – assistantes, médiateurs –, de passer six mois sur un autre poste. Pour prendre du recul par rapport à leur mission, voir autre chose, sans prendre trop de risque. A l’issue, on étudiera les souhaits de mobilité plus pérenne. Les directeurs d’établissement sont très partants car ils sont confrontés à une non-mobilité souvent subie. Or, rester vingt ans sur un poste de médiation est usant, malgré tout l’intérêt qu’on peut porter à ses missions. Il y a une responsabilité de la collectivité à faciliter ces mobilités. L’idéal serait de les ouvrir à des institutions culturelles extérieures, mais ça serait plus compliqué. »

Hétérogénéité des équipes

La mission d’encadrement du conservateur varie selon la composition de son équipe. L’enquête de Rachel Suteau, de l’AGCCPF (1), faite auprès de 29 musées territoriaux, recense 24 fonctions métiers mais souligne la polyvalence des agents, qui assument au moins trois fonctions. L’accueil des publics représente 27 % des personnels. Les agents de catégorie C prédominent (60 %), pour 18 % de catégorie B et seulement 3 % de catégorie A (absents dans les petits musées). L’ancienneté est de dix ans dans les petits musées, et de quinze ans pour les catégories « A ». Les personnels sont issus des différentes filières (culturelle, technique et administrative), concourant à une culture « interfilières ».

« J’ai réutilisé les techniques participatives pour faire émerger des idées, des demandes »

Odile Lassère, directrice du musée de l’Histoire du fer, métropole du Grand Nancy

[20 communes, 1 375 agents, 256 500 hab.] « A la métropole du Grand Nancy, sous l’impulsion de notre directrice générale adjointe, Laurence Werner, les directeurs du pôle culture, sports et loisirs, dont je fais partie, ont participé à deux séminaires de deux jours, un sur le leadership et l’autre sur la créativité, animé par une formatrice de l’Inset. Du coup, j’ai fait appel à la même formatrice pour une session d’une journée avec les cadres de mon équipe. Puis cela m’a donné l’idée d’animer moi-même deux ateliers créativité avec toute mon équipe, un sur l’exposition à venir, et un sur le projet d’établissement. J’ai réutilisé les techniques participatives de brainstorming testées en séminaire pour faire émerger des idées, des demandes. Ce dialogue était attendu par l’équipe et l’idée de la créativité avait aussi pour but de pallier le manque de financements ! Les agents ont fait des propositions d’améliorations immédiates, comme de changer les cartels, à défaut d’une rénovation plus coûteuse. Plusieurs groupes de travail se sont constitués à l’issue de ces ateliers, dont l’un vise à développer des manifestations communes entre le musée, le parc du musée, et le château de Montaigu situé dans le parc. Quand on lance une démarche participative, il faut s’engager à prendre en compte les avis des agents. Mais cela permet de renouveler un intérêt, une motivation, surtout lorsqu’ils n’ont pas de perspectives d’évolution ou de mobilité. »

Note 01Etude présentée lors des assises des métiers des musées organisées par l’AGCCPF en décembre 2017Retour au texte