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« Il faut abandonner la vision budgétaire court-termiste de la rémunération des fonctionnaires »

Publié le vendredi 11 septembre 2020 , www.lagazettedescommunes.com

Johan Theuret, président de l'association des DRH de grandes collectivités, s'apprête à passer la main après six ans de mandat. Six années de lobbying dont il tire des fiertés mais aussi quelques regrets. Dans une interview réalisée le 10 septembre, il tire également les enseignements du confinement, et recense les chantiers à conduire pour moderniser la fonction publique.

visuel « Il faut abandonner la vision budgétaire court-termiste de la rémunération des fonctionnaires »

Vous passez la main après 6 ans de mandat. Quelles réalisations vous donnent satisfaction ?

Nous n’étions pas seuls à la manœuvre, mais nous avons contribué à renforcer l’arsenal déontologique des fonctionnaires et à construire la loi de transformation de la fonction publique. Nous avons aussi bien investi le sujet du Rifseep, pas sa structure, mais sa mise en œuvre, même s’il y a eu des retards. Et puis nous avons réalisé un certain nombre d’études dont je suis fier : le benchmark absentéisme ou encore celles sur le recrutement et les rémunérations, produites en partenariat avec l’Inet.

Quels sont les sujets d’insatisfaction, ou de chantiers inaboutis ?

Sans conteste, celui des rémunérations des agents. L’enjeu est de plus en plus important et stratégique. C’est une question d’attractivité, mais aussi de visibilité pour les fonctionnaires et de cohérence entre filières. La dimension coût/budget doit être dépassée. Il faut une revalorisation du point d’indice en continu, et surtout abandonner cette vision budgétaire court-termiste qui conduit les gouvernements à ne faire des gestes qu’à la veille d’élections présidentielles. Il s’agit de respecter le pouvoir d’achat des fonctionnaires. Dans l’hospitalière, il y a eu le Ségur. C’est bien, mais cela va créer des inégalités entre métiers et entre filières.

Quant au discours « moins de fonctionnaires, mieux payés », c’est un discours facile, un leurre, de la démagogie. Et ce n’est jamais mis en oeuvre. La preuve, Emmanuel Macron avait annoncé des suppressions de poste qui n’auront finalement pas lieu, dans la fonction publique d’État.
Mais je crois à la rationalisation des organisations, au passage aux 1 607 heures, qui peuvent être sources d’économies, réinjectées dans le pouvoir d’achat des agents.

L’autre insatisfaction concerne l’insuffisante concertation des praticiens que nous sommes ; cela n’est pas dans l’ADN des ministres de la fonction publique qui se sont succédé ces dernières années. C’est dommageable parce qu’on perd en qualité des textes produits. Il a fallu forcer la porte pour se faire entendre, alors que l’opinion des DRH de collectivités compte !

Justement, certains élus reprochent à votre réseau de s’autoriser à intervenir dans le champs politique et aller négocier avec les autorités étatiques. Comprenez-vous le reproche ?

Je ne comprends pas et ne cherche même pas à comprendre. Cela ne m’intéresse pas. Les DRH ont leur expertise, c’est logique qu’ils veuillent s’exprimer, tant que cela n’est pas en contradiction avec ce que dit leur employeur.

L’autre reproche a été de contribuer au fonctionnaire bashing avec votre benchmark absentéisme…

C’est pourtant bien le contraire que vise l’étude. Sa finalité était de  constater qu’il n’y avait pas d’indicateurs fiables et de s’interroger sur les raisons des arrêts. On ne se retrouvait pas dans l’indicateur de Sofaxis, entre autres parce qu’il prenait en compte le congé maternité. D’ailleurs, quand nous l’avons lancé, la ministre de l’époque, Annick Girardin, était séduite et nous avons travaillé avec la DGCL sur cette notion d’absentéisme. Le bureau de l’ADRHGCT travaillera pour faire évoluer le benchmark et l’enrichir, le faire perdurer.

Votre mandat se termine sur cette période « confinement/déconfinement ». Qu’en retenez-vous ?

D’abord, bien sûr, elle a accéléré la pratique du télétravail. Ce qui a fait évoluer les postures managériales. Maintenant, les agents vont demander davantage d’autonomie. Cela implique un « management libéré » qui donne plus d’autonomie aux agents de terrain, permet et incite le droit à l’erreur, le droit à l’initiative. En d’autres termes, un management de confiance plus que de contrôle.

Comment installer dans le temps ce « management de confiance » ?

Les DRH doivent accompagner les managers. Il y aura sans doute une réflexion à avoir sur l’encadrement intermédiaire, les différents niveaux hiérarchiques. C’est un état d’esprit qu’on se doit d’insuffler, même s’il existait dans beaucoup de territoires avant la crise.

Le gouvernement tarde à reconnaitre la Covid 19 comme maladie professionnelle dans le secteur public. Les syndicats de la FP viennent d’en refaire la demande. Quelles est la position des DRH de grandes collectivités ?

Nous n’y sommes pas particulièrement favorables. Si c’est fait, tant mieux, mais ce n’est pas déterminant. Quand on est diagnostiqué, il est difficile de savoir si c’est au travail ou dans la vie privée que la maladie a été contractée.

En revanche, on défend la suspension de la journée de carence le temps de sortir de cette épidémie. On l’avait soutenu pour l’équité avec le secteur privé, mais là, ce n’est pas tenable.

« La journée de carence peut pousser les contaminés à ne pas se signaler »

Par ailleurs, les textes gouvernementaux actuels entretiennent encore le flou sur la position administrative dans laquelle doivent être placés les agents dit « contacts ». Pour celles et ceux qui ne peuvent pas télétravailler, ils peuvent parfois être placés en arrêt maladie. Ils ne sont en réalité qu’en arrêt « de travail », non parce qu’ils présentent une pathologie ou une maladie, mais pour des raisons de prévention. Or, la journée de carence s’applique indifféremment aux arrêts maladie et aux arrêts « de travail ». Et la journée de carence peut pousser les agents à ne pas se signaler lorsqu’ils sont atteints du Covid.

Vous n’avez pas été auditionné dans le cadre de la mission Thiriez sur la réforme de la Haute fonction publique que reprend Amélie de Montchalin. Souhaitez vous l’être cette fois?

Le dossier nous intéresse, mais d’autres associations y ont travaillé activement, le sujet relevant davantage de leur domaine de compétence. Nous n’avions pas le sentiment d’avoir une plus-value par rapport à d’autres.

Quels autres sujets souhaiteriez-vous soumettre à Amélie de Montchalin ?

Sur les ordonnances relatives à la protection sociale complémentaire : on voudrait éviter un énième enterrement de première classe. Les rapports existent, on connaît les préconisations… Maintenant, il faut passer à l’action ! La négociation collective est l’autre sujet qui devient central et nous avons là aussi matière à avancer vite.

On demande également que les lignes directrices de gestion soient reportées, car avec la crise, on a pris six mois de retard. Personne ne sera pas prêts pour le 1er janvier, le risque est de décrédibiliser l’outil.

Nouveau président

Johan Theuret passera la main à l’issue d’un vote des adhérents de l’association (environ 230 membres DRH des grandes collectivités de plus de 40 000 hab.), le 18 septembre. Lui-même se retire totalement des instances de l’associations, et prévoit de consacrer du temps à « travailler sur la transformation de l’action publique ».