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Stéphane Pintre : « Vers une coupure de pans entiers du service public »

Publié le mardi 19 septembre 2017 , www.lagazettedescommunes.com

Le président du Syndicat national des directeurs généraux des collectivités territoriales (SNDGCT), à la veille du congrès des directeurs généraux, du 21 au 23 septembre, attend que le gouvernement précise la copie qu'il souhaite écrire pour les collectivités et la fonction publique territoriale.

visuel Stéphane Pintre : « Vers une coupure de pans entiers du service public »
La Gazette

Les annonces de l’été concernant les collectivités inquiètent les directeurs généraux. Ils se retrouveront au congrès du SNDGCT à Clermont-Ferrand, du 21 au 23 septembre.

Votre congrès a lieu à Clermont-Ferrand le 21 septembre. Quels en sont  les grands enjeux cette année ?

L’événement se déroule en trois dimensions : les assises des cadres dirigeants, des ateliers (sur la laïcité, le Rifseep, l’analyse financière, le numérique, le bien-être au travail, la Gemapi,  la préparation des élections professionnelles…) et le salon Territorialis.

Le thème du congrès est consacré à l’avenir du service public : quel sera-t-il demain ? L’idée est de se questionner sur le service public territorial dans un contexte de reconfiguration des territoires, des finances locales avec la baisse des dotations, et de la fonction publique. Ces trois thèmes interrogent directement l’avenir du service public.

 Les élus locaux ne semblent pas encore associés au débat sur le service public. L’avenir du « service public territorial » n’est-il qu’un débat de territoriaux ?

Il est évident que les élus doivent être associés à la réflexion. Il n’est pas concevable que l’Etat organise des états généraux sur le service public sans aborder le service public territorial et sans y associer les élus locaux, les syndicats et les organisations professionnelles qui agissent. Nous ferons des propositions. Notre congrès sera l’occasion de s’interroger sur le devenir du service public territorial. Je pense d’ailleurs que toute notre action, et toutes nos activités, tourneront autour de cela dans les années qui viennent.

En commençant par évoquer la fonction publique, le débat est-il bien lancé par le gouvernement ?

Le problème est pris à l’envers : on nous dit que les collectivités, les fonctionnaires coûtent trop cher. Mais il faudrait commencer par dire quel service public nos concitoyens veulent ! La question est là : quel rôle doivent jouer les collectivités locales dans la mise en œuvre des politiques publiques dans  les territoires ? Veut-on plus, ou moins, de crèches, de solidarité, de sécurité, le maintien à domicile des personnes âgées ? Quel service public veut-on, ou peut-on maintenir, faut-il supprimer des services publics et, si oui, lesquels ?

En Allemagne, il y a moins de crèches, mais les femmes travaillent moins. Quel coût social, quel modèle social les Français sont-ils prêts à accepter ? C’est à ces questions qu’il faut apporter des réponses.

Comment vivez-vous les annonces de l’été ?

L’État nous dit qu’il faut faire des économies. C’est sûr qu’il faut en faire. Mais nous ne l’avons pas attendu pour cela ! Nous n’en sommes plus au stade de la rationalisation de tel ou tel secteur.

Aujourd’hui, ce qui s’annonce, c’est la coupure de pans entiers du service public. Les collectivités ont commencé par diminuer les investissements en construisant moins d’équipements, mais aussi et surtout en faisant moins d’entretien des équipements. Les collectivités ne construisent pas des écoles, des médiathèques, des  théâtres tous les  jours. En revanche,  elles les entretiennent. Moins d’argent signifie qu’il y aura moins d’entretien des routes, des éclairages publics, des bâtiments communaux, etc.

Si les dotations diminuent encore, si le problème de la taxe d’habitation n’est pas réglé, non seulement on porte atteinte à l’idée même de libre administration des collectivités locales, mais en plus on diminue les moyens des collectivités pour qu’elles agissent dans l’intérêt général.  Demain, il faudra supprimer des services publics. Et ce d’autant plus si on doit diminuer les effectifs, car la loi nous impose des normes d’encadrement en personnel [pour certaines activités].

Les collectivités ne construisent pas des écoles, des médiathèques, des  théâtres tous les  jours ! En revanche,  elles les entretiennent : moins d’argent signifie qu’il y aura moins d’entretien !

Les directeurs généraux sont-ils inquiets ?

Oui il y a de l’inquiétude. Nous avons vécu le climat anti-fonctionnaires et anti-collectivités du mandat précédent, de la campagne électorale. Les déclarations du nouveau président de la République génèrent aussi des inquiétudes. Nous manquons de visibilité et sommes dans l’attente de clarifications.

Les économies supplémentaires de 13 milliards à réaliser, la réforme de la taxe d’habitation sont des annonces officielles. Mais nous ne savons pas comment tout cela va être mis en œuvre, sous quels délais, sous quelle forme. Des choses sont dites comme le point d’indice différencié, mais elles ne sont pas précises. Lors de la conférence des territoires, le président de la République a dit  qu’il n’y aurait pas de nouveau round de réformes, mais des ajustements pragmatiques.

Les lois Maptam et Notre sont imparfaites et n’ont pas répondu aux objectifs de simplification et de clarification. Elles ont complexifié les situations dans un certain nombre de domaines en rajoutant des couches supplémentaires sans en supprimer. Il faudra simplifier. La décentralisation, l’organisation entre les départements, les régions, le transfert des compétences restent des sujets d’actualité. Il subsiste de  la confusion, des doublons. On attend d’avoir des propositions concrètes pour y répondre et faire des contre-propositions.

Les lois Maptam et Notre sont imparfaites et n’ont pas répondu aux objectifs de simplification et de clarification.

Ne craignez-vous qu’il y ait des mesures trop rapidement adoptées sur la fonction publique ?

Sur la CSG, le gouvernement ira certainement vite car c’est un moyen de récupérer de l’argent rapidement. Mais ce n’est pas un débat de fond, il ne touche pas le statut de la fonction publique. La question, pour nous, porte sur l’avenir du statut et de la fonction publique territoriale au sein de la fonction publique.

S’attaquer au porte-monnaie, n’est-ce pas une manière de faire exploser le système sans le dire ?

Je ne pense pas que le gouvernement veuille tuer la fonction publique territoriale via la CSG. En revanche, différencier les points d’indice serait beaucoup plus grave car cela porterait atteinte au principe d’égalité entre les trois versants de la fonction publique, et à la fonction publique elle-même. Mais je ne sais pas si c’est une volonté réelle ou si c’est une mauvaise réponse à une bonne question des élus, à  savoir pourquoi ne sont-ils pas associés à la décision de l’augmentation du point d’indice. Les élus ne demandent pas autre chose. Ils n’ont jamais demandé la différenciation de l’augmentation du point d’indice. Là, on leur répond à côté.

Je pense que le dispositif n’est même pas constitutionnel et je vois mal le Conseil d’Etat laisser passer une mesure pareille, alors que depuis trente ans nous avons essayé de construire le principe de parité entre les fonctions publiques. La différenciation de l’augmentation du point d’indice créerait une situation ubuesque, avec plusieurs fonctions publiques. Elle freinerait la mobilité. Si l’Etat augmentait son point et pas les collectivités, plus un seul fonctionnaire d’Etat ne demanderait sa mutation dans les collectivités territoriales ! C’est une proposition clownesque ! Incompréhensible !

Différencier les points d’indice serait beaucoup plus grave car cela porterait atteinte au principe d’égalité entre les trois versants de la fonction publique, et à la fonction publique elle-même.

Comment les directeurs généraux se sentent, aujourd’hui ?

Ils sont le nez dans le guidon, à côté des élus. Ils ne se posent pas de questions existentielles tous les jours. C’est le rôle d’une organisation professionnelle de prendre du recul et de réfléchir à l’avenir. Les DG sont confrontés à des problématiques très concrètes et souvent très difficiles à résoudre pour des raisons financières mais aussi juridiques, notamment dans l’application des nouveaux textes.

Par exemple avec l’intercommunalité et les  transferts de compétences : tout n’est pas clair ! Les textes sont parfois très imprécis, très mal rédigés. On l’a bien vu avec le transfert de la compétence Tourisme. Nous constatons des situations ubuesques.  Par exemple, des offices du tourisme intercommunaux tout petits face à des offices du tourisme importants qui sont restés communaux. Les mutualisations ne sont pas du tout abouties et les choses ont été en réalité complexifiées.

Le contexte actuel change-t-il la relation entre le DG et l’élu ?

Généralement, on trouve le trio élu, directeur de cabinet, DG. Surtout au niveau des communes. Au niveau des intercommunalités, le « dircab » est moins présent. Mais dans tous les cas de figures, il est indispensable pour les exécutifs de s’appuyer sur les équipes de directions générales.

Le maire est toujours très présent, et il le sera de plus en plus, même dans les plus grandes villes, en raison du non cumul des mandats. Le contexte changera un peu les relations et les équilibres. Mais un maire ne peut pas tout faire. Le maire – directeur général, ça ne dure pas car un maire ne peut pas être à la fois en première ligne et en arrière-ligne. Le général qui commande l’armée ne peut pas partir au feu trop souvent, sinon il est mort !

Dans un contexte qui va peut-être amener les maires à diminuer les services publics, le rôle du DG ne va-t-il pas être plus compliqué ?

Face à des situations financières tendues dans une collectivité, le maire a tendance à se tourner vers ses services et son DG pour que ceux-ci proposent des solutions pour dégager des marges de manœuvre. C’était vrai hier. Ce n’est plus vrai aujourd’hui avec la baisse des dotations, l’augmentation du FPIC, les pertes de recettes de fonctionnement, etc. Les marges de manœuvre financières n’existent plus. Le maire ne peut plus se tourner vers son DG pour qu’il lui trouve des millions d’euros. Il est obligé de prendre des décisions politiques.

On n’est pas dans l’économie de centimes : là où on coupe la main, on coupe le bras ! Certains maires augmenteront les impôts, d’autres ont supprimé les investissements… Demain, certains supprimeront peut-être des services publics ou réduiront fortement leur activité.  Cela signifiera peut-être moins de places en crèches, moins d’accueil dans les centres aérés .. c’est très compliqué et très dur pour les familles.

Le maire ne peut plus se tourner vers son DG pour qu’il lui trouve des millions d’euros : il est obligé de prendre des décisions politiques.

Est-ce que vous sentez aussi des répercussions sur le management des services dans les collectivités?

Ces dernières années, certaines collectivités ont supprimé des lignes budgétaires pour faire des économies. Toutes ces contraintes créent du stress, du mal être, génèrent des insatisfactions.

Les DG se préparent à vivre des tensions de plus en plus vives ?

Nous, organisation professionnelle, essayons de les y préparer. Certains peuvent s’y préparer, d’autres, parce qu’ils sont le nez dans le guidon, n’ont pas le temps. Cela peut créer des problèmes. Récemment, nous avons un collègue qui s’est suicidé. Il y en a régulièrement. Des DG, des cadres territoriaux qui ont une telle pression peuvent connaître un mal être.

Le métier est beaucoup plus  compliqué qu’avant. Les relations interpersonnelles se sont durcies, à la fois avec les élus, avec les collaborateurs, avec les usagers. Les usagers sont beaucoup plus revendicatifs, connaissent mieux leurs droits et sont beaucoup plus actifs que par le passé. On peut s’en réjouir, parce que les gens ne se laissent pas faire. Cela a des avantages mais, d’un autre côté, c’est très dur  dans  la relation.

Les usagers sont beaucoup plus revendicatifs, connaissent mieux leurs droits et sont beaucoup plus actifs que par le passé

Y a-t-il des évolutions sur le statut des DG ?

J’ai reposé la problématique chez le ministre. Elle reste la même. Il n’y a rien de nouveau. Mais elle est d’autant plus prégnante dans un contexte qui se  durcit sur le  plan financier, juridique, interpersonnel. La problématique est forte avec la question des responsabilités, des compétences du DG, de son rôle.